Vers une culture durable de la prévention primaire au travail
Une prévention pour tous grâce à l’entreprise ?
L’entreprise pourrait devenir le terreau fertile de cette culture de la prévention primaire, marquant ainsi une étape supplémentaire pour renforcer le lien entre elle et le salarié. En créant une résonance entre un modèle d’entreprise qui ne se concentre plus uniquement sur le profit, mais également sur la bonne santé de son actif le plus important, l’humain, ne renforcerait-on pas la place de l’entreprise comme un véritable lieu de vie partagé et un acteur clé du renouveau démocratique ?
En tant qu’acteur influent de la société, l’entreprise a la responsabilité et l’opportunité d’agir en faveur de la santé et du bien-être de ses employés et, par extension, de la communauté. Les actions entreprises en matière de prévention primaire peuvent avoir un impact durable, contribuant à construire une société plus saine et équilibrée.
Pour aller plus loin, reprenons l’idée de Daniel Cohen : «On pourrait imaginer de généraliser la notation environnementale et sociale des entreprises et d’imposer par exemple une notation AAA pour accéder à la commande publique1.» Certes, les sans-emplois resteraient en marge et seraient fortement pénalisés. Toutefois, on pourrait envisager un rôle pour France Travail, associé à des assureurs et mutuelles qui affecteraient une partie de leur résultat à cette cause de santé publique.
Des premiers changements de perception ?
Des signes encourageants sont observables. En effet, la prise de conscience des employeurs progresse. Une enquête de l’Ifop en 2018 montrait un équilibre entre les actifs estimant que leur employeur se montrait plus soucieux qu’avant de leur santé (32%) et ceux déclarant le contraire (30%).
Les résultats de 2022 indiquent que seulement 21% des actifs estiment maintenant que leur employeur se montre moins soucieux qu’avant, soit une baisse significative de 10%2.
Des freins qui demeurent dans la prévention santé dans les entreprises
Les obstacles identifiés sont liés à des facteurs humains et organisationnels. Les responsables de ressources humaines interrogés déclarent être confrontés majoritairement aux réticences des collaborateurs à évoquer leur santé au travail (36%), ou à un désintérêt de leur part (31%). Les freins techniques sont moins mentionnés, mais persistent :
- Difficulté à mesurer un retour sur investissement (25%)
- Manque d’intérêt de la direction (23%)
- Manque de moyens financiers (23%)
- Un manque de communication
À ce jour, 59% des salariés sont informés des actions de prévention menées par leur employeur en matière de santé au travail, mais seulement 32% comprennent précisément de quoi il s’agit. L’enjeu de la communication est donc crucial pour le succès durable de ces initiatives3.
Les managers : un rôle encore trop peu affirmé en prévention primaire
Les managers sont perçus comme les plus légitimes pour agir en matière de santé au travail, cités par 27% des décisionnaires RH. Les dirigeants arrivent en deuxième position, mentionnés par 23% des sondés. Le rôle des autres acteurs (médecine du travail, responsables RH, collaborateurs eux-mêmes) semble plus secondaire, chacun étant cité par moins de 15% des interviewés. Ce rôle central attribué aux managers souligne l’élargissement de leurs responsabilités depuis le début de la crise sanitaire.
Une enquête réalisée fin novembre 2020 révèle que les attentes prioritaires des salariés envers leurs managers concernent la reconnaissance, le soutien et l’écoute, avant même l’organisation du travail et le leadership4.
L’accompagnement des managers dans ce nouveau rôle est d’autant plus nécessaire. Ils sont souvent démunis face à la nécessité de trouver le juste équilibre entre écoute et non-intrusion, présence et respect de l’autonomie et de la vie privée des salariés. Toutefois, les managers sont souvent les premiers exposés au stress.
En résumé : L’entreprise et son rôle dans le système de santé français
Le système de santé français, historiquement orienté vers les soins curatifs, néglige souvent la prévention primaire. Comme le soulignait l’ancien ministre de la santé, François Braun, lors du congrès de la Mutualité en septembre 2022 :
« La France accuse un retard d’ensemble en matière de prévention, notamment comparée à ses voisins européens… Le budget moyen consacré à la prévention équivaut à 3% des dépenses de santé dans l’Union européenne, contre moins de 2% en France. »
La prévention reste donc un sujet prioritaire pour la société civile en France, où l’entreprise a plus que jamais un rôle crucial à jouer. Aujourd’hui, malgré une prise de conscience croissante, un des défis majeurs demeure la nécessité d’inscrire ces actions dans la durée avec une répétition et des apprentissages profonds pour éviter que ces actions soient perçues comme des gadgets.
Sources :
1 Daniel Cohen, Homo Numericus
2 Santé au travail et prévention de l’absentéisme : la nouvelle donne post-COVID (Fondation Jean Jaurès, 2023)
3 Observatoire RH de la Fonction Publique, MGEN (décembre 2023)
4 Santé au travail et prévention de l’absentéisme : la nouvelle donne post-COVID (Fondation Jean Jaurès, 2023)